[Présentation aux Marmiteux] Drakana Sabot-Hardi, Garde-flamme des Ermiteux

Les yeux vides, le vague à l'âme, Drakana regarda s'éloigner la charrette qui transportait ses précieux objets loin de leur fief de Tombe-Brume. TB pour les intimes. Comme Très Bien aussi. Ou Trop Badass. Ou Tri Bibelots. Ou Trois Binouses. Ou Trop de Bazar. Tombe-Brume quoi.

Sa marraine Drakawen avait été intraitable lors du déménagement. Parfaitement intraitable.

Chaque Marmiteux ne disposait que d'une armoire de taille modeste, une table de chevet, et une paillasse. Le matériel dédié à l'artisanat et aux activités "professionnelles" pouvait être stockés dans les espaces dédiés du village.  

Elle pesta que ce n'était pas juste, les affaires d'une Taurene étaient plus grandes que celle d'un Gnome, ou d'un Gobelin; une seule de ses culottes aurait suffit à leur faire plusieurs draps.

"C'est comme ça".

Gnagnagna.

Elle avait donc s'y résoudre, et montrer l'exemple tant qu'à faire. Avec son MAIGRE bagage, Drakana s'était installée à l'étage du grand bâtiment principal.

Postant sa paillasse surélevée près d'une rambarde, afin de bénéficier d'une bonne ventilation, elle espéra que son aérophagie ne pose pas trop de soucis dans ce qui allait devenir leur grand dortoir collectif - libre à chacun(e) d'aller dormir plus loin s'il le souhaitait. Oh, ils avaient déjà l'habitude après tout. De son odeur de morue aussi.

Lorsque les étoiles pointèrent leur lumière dans les pupilles dilatées de la Taurene, en cette première nuit à Tombre-Brume, la Chamane songea que ce n'était pas facile tous les jours d'être Garde-flamme. Ni d'avoir des visions, quand cela bouleversait autant le quotidien.

Elle avait l'habitude de la Broche-Rompue. Est-ce que ce nouveau fief conviendra? A première vue, oui, il y avait tout ce dont on pouvait rêver ici. De la place, des villageois bienveillants et bons-vivants... Ah, il ne fallait pas qu'elle oublie d'ailleurs de leur raconter une anecdote un jour, en échange de sa paillasse!

Mais pour le moment, elle avait d'autres mouches à fouetter.
 
Demain, il fallait qu'elle se présente, comme tout Marmiteux, et qu'elle mette son petit carton de résumé ensuite dans le registre, consultable à leur Auberge de TB. ENCORE DE LA PAPERASSERIE! (à moins que la personne qui l'accueille s'en charge ensuite, si elle ne le faisait pas, après tout, elle avait déjà rempli beaucoup de papiers pour les Ermiteux - et leur troupe élite des Marmiteux ne fonctionnait pas pareil).
 
Et puis que dire? Comment se présenter? Les Marmiteux la connaissait, tout en ne la connaissant pas. L'exercice n'était pas simple. Et quelle section rejoindre? Alors là, ça devenait insoluble!
 
Ce Hibou mystérieux, gardien des Ermiteux, y était allé fort avec ses sept couleurs. Sept, c'est beaucoup!

Elle se retourna dans le lit de fortune en grommelant, laissant échapper un pet sifflant. Elle ouvrit une oreille. Pas de réactions dans le dortoir. En même temps, ils étaient encore très peu nombreux! Et bizarrement, ils avaient toutes et tous choisis d'aller poser leur paillasse à l'autre extrémité de l'étage. De nombreuses paires de bouchons d'oreille en cire d'abeille et de toutes tailles, avaient aussi été distribuées.

Le lendemain lui portera sûrement conseil! La Chamane sombra dans le sommeil.

Au petit jour, elle sut enfin comment se présenter. Ah, le Loa du changement voulait du changement, et que les Ermiteux s'organisent? Et bien il allait en avoir.

Elle se rendit à l'Auberge; normalement, il devrait y avoir quelqu'un de la troupe pour l'y recevoir.

Pour une fois, elle n'allait pas rédiger une longue missive, et peut-être qu'elle pourrait demander conseil pour choisir sa section?
 
Elle passa la tête dans l'encadrure de la porte d'entrée, avec une étonnante timidité, pour quelqu'un qui avait la diarrhée verbale dès lors qu'il s'agissait d'écriture.
 
Drakana respira profondément.

— Youuuhou, y a quelqu'un?

Orchal avait passé la nuit à la belle étoile. Quand il s'établissait quelque part pour une longue période, il avait pris cette habitude de n'avoir que le ciel comme toit pour la première nuit. Il s'imprégnait ainsi des lieux, du calme nocturne, de la position des étoiles. Installé sur une hauteur près du village, il avait contemplé Tombe-Brume au crépuscule et à l'aurore.

Le val était redevenu un endroit calme. Plus de Mogu, ni d'incursion mantides. Les derniers à avoir voulu envahir les lieux, les séides de N'zoth, avaient eux aussi été vaincus et chassés. Le val avait retrouvé la paix qu'il avait connu tant que les brumes avaient protégé la Pandarie.

Au matin, Orchal s'était rendu à l'auberge. Il fallait accueillir les futurs Marmiteux et les écouter. Lui-même devrait effectuer sa présentation à quelqu'un, mais pour l'heure, il préférait être de ce coté de l'écritoire, qu'il avait disposé devant lui sur une table. Il commanda un thé, et attendit. Pas très longtemps, car déjà quelqu'un passait la porte.

"Je suis là." répondit-il d'une voix posée et accueillante.

Il sourit en voyant que c'était Drakana qui était la première. Il se leva pour la saluer et l'inviter à sa table.

— Orchal! Vous ici!
   
Elle tombait pile pendant l'heure de service du Druide à l'auberge, visiblement.

La Chamane constata avec satisfaction que quelques marmiteux s'étaient déjà organisés pour tenir leur petit Ermitage, non loin de l'entrée de Tombe-Brume.
   
Chaque Ermiteux impliqué chez les Marmiteux mettait en effet du sien pour la mise en place de cette nouvelle organisation, qui bouleversait complètement ce qu'ils avaient connu jusque là. La future menace sera terrible et ils n'étaient pas au niveau, même avec leur festin légendaire, avait prédit le Hibou Loa du Changement.
   
Et bien, si jamais cela se passait mal, ils auront fait tout ce qu'ils auront pu.    
 
Au point même de tenir une auberge nuit et jour pour accueillir les futurs marmiteux, et recevoir ceux qui avait co-fondé cette troupe élite des Ermiteux. Elle ne l'avait pas encore annoncé, mais la Chamane avait l'intention de noter sur le registre que chaque Marmiteux présent avant leur installation à Tombe-brume sera co-fondateur(trice) des Marmiteux.    
 
Drakana Sabot-Hardi sourit à Orchal, dévoilant une feuille d'herbe collée sur l'une de ses incisives.


   
Elle alla s'asseoir à la table qu'il avait désigné, et prit ses aises.    
 
"Afin de donner l'exemple, je viens me présenter aux Marmiteux. Nous devons nous organiser. Il faut donc si possible connaître quelques points forts de chacun de nos membres - et ses faiblesses aussi, qui devront être prises en compte, pour que chacun occupe la place ou il se sentira le plus opérationnel. N'est-ce pas?".
 
La Garde-flamme avait parlé d'un ton volontaire et assuré, entamant la discussion à partir de considérations généralistes.
   
Elle croisa les sabots pour qu'Orchal ne lui demande pas qu'elles étaient les siennes en détail, et qu'il ne creuse pas trop sa présentation en lui posant des questions...
   
C'était tellement pénible, les organisations où il fallait discuter des heures avant d'y entrer! Pas du tout son genre.
 
Bien qu'ils étaient à ce moment même dans un contexte de "présentation" - voir même pourrait-on dire de "valorisation" de tout un chacun(e), car il ne s'agissait pas d'un recrutement! - la Chamane semblait avoir quelque difficultés à se détendre. Cela contrastait avec son habituel aisance en tout milieu et toutes circonstances, quand il s'agissait de s'occuper des affaires courantes de la guilde.
 
Elle baissa ses lunettes, et scruta le visage d'Orchal avec un léger sourire crispé.

Orchal s'installa confortablement derrière son "bureau" et hocha la tête.

"C'est exactement ça."

La chamane en face de lui ne semblait pas aussi à l'aise que d'ordinaire. Il se dit qu'un trait d'esprit permettrait de détendre l'atmosphère.

"Je ne suis pas non plus dans mon... élément... "

Il sourit avant de continuer:

"La paperasse, ce n'est pas trop mon truc, mais comme il faut de l'organisation, autant coucher ça sur le papier."

La feuille devant lui était blanche. Il n'avait pas fait de rubrique préalable,  de chapitrage ou quoi que ce soit d'autre, et semblait un peu emprunté.

"Vaudrait-il mieux commencer par les forces ou les faiblesses ? Ou plutôt par le choix de la section ?"

Connaissant Drakana, il n'avait pas envisagé de devoir lui tirer les vers du museau. Il regarda autours de lui pour voir si Lyre, Pastoris ou Draconis n'aurait pas lancé par mégarde un sort de silence sur la Garde-Flamme

Drakana observa Orchal sortir une feuille, toute blanche.

D'ordinaire, ils ne remplissaient aucun papier chez les Ermiteux. Chacun voguait là ou son corps (ou cœur, ou les deux), le portait, selon l'inspiration ou les objectifs du moment, et les appels aux armes!

Les voilà à présent réunis dans un fief commun, un quartier général de guilde, à se préparer pour une menace inconnue, mais bel et bien réelle, selon les phénomènes étranges constatés un peu partout sur Azeroth, après la défaite des terribles dragons des Iles.

Il n'y avait pas de répit. La guilde avait survécu jusqu'ici, par ses propres moyens. Ils auraient très bien pu ne rien changer, et continuer ainsi.... seulement voilà, cette fois-ci, cela ne se passera pas aussi bien pour eux, d'après Q'onzu le Loa du Changement.

Les Ermiteux avaient choisi de l'écouter, ainsi que le mystérieux Hibou Gardien des Ermiteux (Q'onzi!). Seulement ce n'était pas si facile.

Le changement, c'était maintenant! C'était cette feuille blanche. Or, Drakana Sabot-Hardi détestait la paperasserie tout autant qu'Orchal. Non pas qu'elle n'aimait pas écrire, bien au contraire - mais elle était assistée par sa fidèle plume magique Fofore, sans laquelle elle se sentait fort démunie et malhabile.

Les voilà bien empêtrés. Heureusement que l'ancienne marraine Drakawen n'était pas dans l'auberge, elle se serait certainement moquée d'eux en se passant la main sur la figure.

Ils se regardèrent dans le blanc des yeux encore quelques minutes.

Un scribe. Il leur fallait un scribe, habitué à ce genre de choses, pensa la Chamane.

Fofore, sa plume magique, écrivait déjà les pavés que lui dictait Drakana, jamais l'outil magique au caractère bien trempé dans l'encre de Dalaran n'accepterait d'en faire plus...

La Chamane se gratta la fesse gauche, en guise de réflexion profonde. Le fait de penser à un scribe, lui fit penser à la calligraphie, à laquelle elle s'était initiée pendant les évènements de Légion.

Elle regarda à nouveau la feuille blanche. Puis Orchal. Puis la feuille blanche. Alors que le silence s'éternisait, elle s'en empara soudainement.

Pliant soigneusement certains angles, repliant par dessus, puis par-dessous, elle agita ses gros doigts un moment en tirant la langue.

D'un air satisfait, elle posa ensuite sa création devant le Druide.

Elle venait de faire un ours polaire en origami.

La Taurène semblait pleine de paradoxes. Elle était incapable de tenir un crayon pour écrire elle-même, alors qu'elle n'avait visiblement aucun handicap au niveau des doigts - tout aussi imposants soient-ils.

— Est-ce que ça peut compter comme un point fort? Je sais aussi faire des poulets d'Ancône et des morues en papier.

Orchal était perplexe. Le silence de Drakana était inhabituel. Cette perplexité fit qu'il le laissa s'installer. Et puis, il ne voulait pas la brusquer. Sans doute était-elle en pleine réflexion. Il sourit pour l'encourager, mais cela n'eut pas vraiment d'effet.

Puis, la Chamane s'anima, et prit la feuille. Sans doute voulait elle écrire elle-même ses réponses? Ou confier la tâche à sa fidèle plume magique, Fofore ?

Orchal se pencha en avant pour mieux voir tandis qu'elle commençait à plier la feuille avec une dextérité certaine. Les autres races munies de quatre doigts et plus étaient toujours surprises de l'agilité dont pouvaient faire preuve ceux et celles que la nature avait moins pourvus dans ce domaine. Les Trolls et les Taurens s'en amusaient. Ils avaient toujours vécu ainsi, et imaginaient au contraire cet excès d'appendices gênant.

Le druide prit l'ours en origami que Drakana avait posé devant lui, et l'étudia sous tous les angles. On reconnaissait tout de suite le puissant animal qui avait sa préférence lors des combats. Même si celui-ci était de papier, il s'en dégageait quand même une forme de puissance sereine.

Orchal hocha la tête en signe d'approbation.

"Le coté utile de cet art ne se révélera peut-être pas tout de suite, mais c'est indéniablement un point fort. Qui peut se targuer de faire de tels pliages ?"

Il réfléchit quelques instants.

"Est-ce que l'art de l'origami pourrait être un indice pour le choix de votre section ? Les crafteux, par exemple ? Ou les bourlingueux, pour ajouter des animaux exotiques à votre catalogue ?"

Drakana arbora un air pensif après la réponse d'Orchal.

Elle finit par lui adresser un grand sourire. Le Druide avait compris son curieux désarroi! Elle était tellement bavarde, que dès lors qu'elle ne disait plus un mot, l'heure était grave!

Orchal tournait et retournait l'ours en papier délicatement, attendant qu'elle se décide à parler (ce qui n'arrivait quasiment jamais).

L'art de l'origami. La Chamane n'avait eu que ça à faire ou presque, que d'apprendre l'art du pliage Pandaren ces dernières années. Après son passage en Ombreterre et la découverte de la Congrégation de Revendreth, un Purotin lui avait prédit qu'elle y passerait de longues années, voire des siècles, après sa mort charnelle sur Azeroth.

Naturellement, elle avait entrepris de limiter les dégâts "de son vivant". Aussi avait-elle passé les années de calme qui avaient succédé à la mort du Geôlier dans... un monastère, ici même en Pandarie pour des causes précises qui la regardaient.

Le zen, l'équilibre. Les Moines l'appelaient "Fleurdemorue" en raison de son odeur pestilentielle. Pour une raison mystérieuse, elle ne manquait jamais de se huiler les nattes chaque matin avec un élixir à base de concentré de poisson, qui réussissait même à indisposer les mouches de Maldraxxus lorsqu'elle y était passée.

Les Ermiteux avaient développé une insensibilité avec les années. C'est ce qu'il se passe en cas de traumatisme olfactif aussi violent: le corps s'habitue. C'était surtout difficile pour les pauvres nouveaux et nouvelles. Les Réprouvés avaient de la chance sur ce coup là.

Les Moines l'avaient faite dormir à la belle étoile au début, puis parmi ses missions principales, elle avait dû méditer sur l'art de la concision à la Caverne des Palabres. Le moine zen était intraitable ; chaque jour, il venait constater les progrès de son élève. Si elle n'avait pas réussi son résumé de texte, elle devait ajouter une fleur à sa couronne, dont les essences avaient été renforcées discrètement pour contrer son odeur qu'ils pensaient naturelle.

Drakana détestait les fleurs, contrairement à sa marraine Druidesse. Elle avait été très perturbée par une vieille histoire, avec un certain "Granolen", entre autres. Elle en avait même abandonné la récolte, alors qu'elle était Alchimiste. C'est sa marraine qui lui rapportait des plantes régulièrement.

La Garde-flamme aurait pu ouvrir une boutique de vente de bouquets à la fin de ses apprentissages. Bien que Chamane, elle avait appris à se passer de ses totems et des esprits élémentaires pour se battre à mains nues, mais les Moines n'avaient rien pu faire pour la former à l'équilibre profond; et à l'art de la concision. Tout comme elle n'avait pas été sensible au druidisme, elle était hermétique à la puissance du Chi.

Alors qu'elle était incapable de raccourcir ses écrits, coincée à la Caverne des Palabres, son nouvel ami local, Oukoukouk le Hozen, qui passait de temps en temps par là, subtilisait les feuilles qu'elle envoyait dans la corbeille à papier (qui étaient ensuite recyclées). Il les roulait en boule et lui lançait à la figure.

"Oukoukouk bien visé la Doukaka fleurs qui puent!"

Drakana avait dû ruser pour lui renvoyer et jouer avec lui, les Hozens étant très vifs. Quoi de mieux que faire un oiseau pour l'aérodynamisme ? La maîtrise du vent lui avait bien servi. Oukoukouk avait beaucoup apprécié la petite grue et s'amusait avec la création en papier. Il avait ensuite rapidement amené ses amis avec lui. Chaque jour, elle offrait à chacun des singes une figure en papier, avec les torchons trop longs qui finissaient dans la corbeille.

Un jour, son moine référent la surprit à l'œuvre, alors qu'elle expédiait un lapin, un poulet d'Ancône, une grue et autres créatures en papier aux Hozens qui venaient chercher leur création quotidienne.

Interprétant à tort qu'elle n'y mettait pas de la bonne volonté, ils décidèrent qu'elle avait "suffisamment appris d'eux". Kimaï lui révéla par la suite que son histoire était fort étrange, car les Moines normalement restaient au Monastère! Mais pourquoi diantre l'avaient-ils faite vivre la plupart de ses journées dans cette caverne éloignée? Et qu'est-ce que cette histoire de "résumés de texte"? On ne lui avait jamais appris cela.

Drakana était donc repartie en Kalimdor, rejoindre les Ermiteux du coin qui traînaient toujours à la Broche-Rompue. Est-ce que ce périple en Pandarie avait suffi à lui faire gagner quelques siècles de moins à Revendreth plus tard ?

Elle n'en savait strictement rien, mais elle l'espérait. Elle avait encore une liste très longue de choses à faire pour sa rédemption. Toujours est-il qu'elle avait appris à taper sans totem, à faire des roulades après quelques bleus aux bourrelets, et à faire des animaux en papier.

Elle n'avait pas vraiment envisagé que son talent pour l'origami puisse être considéré comme un point fort stratégique pour le groupe des Marmiteux. Mais à présent, elle réalisait qu'elle ne savait plus du tout ce qu'elle pouvait bien apporter à la troupe.

La Chamane soupira profondément.

— Ah, Orchal. Oui, l'art de l'origami est bien un indice. Q'onzu nous a parlé de changements, sans quoi nous sommes fichus. Le Hibou Gardien semble du même avis, pour m'avoir envoyé cette vision qui éclaire la phrase mystérieuse de l'arc-en-ciel. Cela veut dire que quoiqu'on fasse, sans changement, on est condamnés. Et bien vois-tu, de l'origami, j'en avais jamais fait jusqu'à ces dernières années...

Elle fit une pause, et repris l'ours qu'Orchal avait posé. Elle le fit tourner entre ses gros doigts avant de le poser délicatement sur la table.

"... Je crains que mes talents profonds ne soient d'une utilité limitée face aux défis qui nous attendent. J'ai toujours été plus à l'aise avec les éléments - surtout les vents - et les esprits qu'avec la paperasserie. Pourtant, je comprends la nécessité de nous organiser, de nous connaître et de nous préparer. Si nous devons remplir des papiers pour assurer notre cohésion, alors soit. Mais je ne suis pas sûre d'y arriver. Et il n'y a pas que ça qui me pose soucis."

Elle se redressa, croisant les bras sur son ventre rebondi, bien qu'il s'agisse de muscles selon elle.

"Je ne sais pas quelle "section" rejoindre. J'étais Garde-flamme. Je suivais mon instinct. On a répondu aux appels aux armes quand c'était possible, on a recruté... Les Ermiteux sont devenus très puissants avec notre festin légendaire! On a survécu aux Dragons, avec l'aide des autres aventuriers, des deux factions. J'ai passé beaucoup de temps dans les Montagnes de Haut Roc, à apprendre tardivement l'art de la chasse. Puis je suis devenue Fleurdemorue. Que puis-je faire d'autre... Pourquoi faut-il tout changer? Je ne suis pas sûre de pouvoir le faire. J'ai déjà énormément changé. Alors maintenant, je sais faire de l'origami. C'est nouveau, donc c'est mieux?"

Elle observa Orchal attentivement, cherchant une réaction.

Pensive, elle fouilla dans sa poche, et lui tendit un carton froissé, maculé de tâches à la provenance inconnue.

Dessus, on pouvait lire:

Carton de Drakana Sabot-Hardi:

Photo: Un rond, avec deux nattes et deux croix pour les yeux, une corne cassée.
Brève présentation: Garde-flamme et co-créatrice des Ermiteux.
Factions/appartenances éventuelles: Oula, c'est confidentiel.
Age: Oui, j'en ai un!
Période d'arrivée: Co-créatrice des Marmiteux
Spécificités: Aérophagie chronique - puisqu'il faut être honnête et bien se connaître a dit Q'onzu. Je sais me battre avec des totems, des objets redondants, et aussi sans rien. Je sais apaiser les Esprits aussi, surtout ceux qui boudent. Et j'ai été formée à la Maïeutique à Fossoyeuse. Pour l'essentiel. J'ai aussi des "notions" en équilibre communautaire à partir du management de l'Ombre et de la Lumière. Maîtrise les vents.

En dessous, en plus petit caractère, Fofore la plume magique de Drakana s'était permise de rajouter: "sent le poisson mort qu'on aurait embaumé avec une fleur tropicale, bon courage les copains et copines!".

Section privilégiée ou choisie: ????
Rôle chez les Marmiteux: Puisqu'on nous dit qu'il faut tout changer, qu'est-ce que j'en sais? De l'origami! Ah ah.

La Garde-flamme était visiblement bouleversée par les avertissements du Loa du Changement, et par le fait qu'il était sûr qu'ils allaient droit dans le mur sans changements.

Elle estimait en effet que la routine de leurs libertés était la plus belle récompense pour tant d'efforts aux combats, tant de sueur versée par toute la troupe pour la confection de leur festin. Ils étaient beaucoup de vétérans et aspiraient à des périodes de calme prolongé dès que cela était possible.
Et là, on agitait une menace invisible pour les faire faire ce qu'elle estimait être... peu Ermitesque !

Tenir une auberge nuit et jour! Remplir des papiers pour le registre des membres! Se répartir les tâches pour faire tourner la communauté: pêcher, cultiver des légumes, balayer, faire à manger, mutualiser l'artisanat et autres. Et la liberté alors?

Elle regarda Orchal, en haussant les épaules.

"Vous qui me connaissez depuis bien longtemps, dites-moi. Pensez-vous que je doive abandonner mon instinct, et m'en remettre à des tâches collectives et considérations plus "pragmatiques" qu'à mes habitudes, pour améliorer nos chances de survie? Que pourrais-je bien faire ici. Quelle section m'irait-elle le mieux?"

Elle désigna la place du village par-delà l'encadrure de la porte de l'auberge, et indirectement leur nouveau quartier général. Elle avait toujours su quoi faire jusqu'à présent, et voilà que ses certitudes étaient balayées par une bande de Hiboux suite à des visions hululberlesques!

Si encore elle avait bu la fameuse petite tisane aux plantes de feuillerêve auprès de la pierre à Vision... mais non. La vision avait été à jeun! Elle sentait bien que celle-ci disait vrai, et c'est bien ce qui l'embêtait. Cela ne lui plaisait pas du tout de devoir tout changer! Oh non, pas du tout.

Heureusement son vieux compère le Druide allait sûrement pouvoir la conseiller!

Les yeux mi-clos, celui-ci la laissait parler sans l'interrompre. Il savait qu'au bout d'un moment, elle se lasserait. Elle va bien se lasser. Oui, forcément. Bon, en tout cas elle n'était pas devenu muette, ce n'était pas si grave que cela.

Il sursauta. Sa compère Taurène lui avait enseigné la technique de "l'écoute flottante", et il s'aperçut qu'elle attendait de lui à présent une réponse.

Orchal regarda gravement son interlocutrice.

"Tout d'abord, je ne pense pas que nous soyons condamnés sans changement. Il nous sera bénéfique, sans doute, mais de là à être condamnés sans lui, non. Deuxièmement, comme vous l'avez dit, vous avez appris la chasse, puis la philosophie pandarène dans leurs monastères. Je crois qu'en ce qui concerne le changement, personne d'autre n'en a fait autant. C'est peut-être ce que voulait dire Q'onzu, qu'il faut avoir d'autres cordes à son arc, mais pas forcément qu'on doive en rajouter à l'infini."

Drakana lui tendit le carton, qu'il prit et qu'il lut attentivement, tandis qu'elle lui faisait part de ses inquiétudes.

"Si votre instinct ne vous a jamais trompé, pourquoi vouloir l'abandonner ? Je ne crois pas que les deux soient incompatibles. Il faut trouver un équilibre, voilà tout."

Il réfléchit un instant avant de poursuivre, et de faire glisser le carton vers sa propriétaire.

"Concernant la section... Et bien, tout d'abord, écrivez le nom de la section que votre instinct vous pousserait à rejoindre, sans réfléchir, sur le carton."

"Ensuite, nous allons procéder comme je l'ai fait, par éliminations."

Il attendit quelques instants, puis commença.

"Tout d'abord, je vais vous dire où je ne vous verrais pas. Les Bracasseux, déjà. Cette section est pour les combattants, et même si nous le sommes tous quelque part, il s'agit de ceux qui en on fait leur spécialité.

Ensuite, j'éliminerai les Bourlingueux, nos explorateurs, pour des raison de sens de l'orientation contrarié.

Les Pantoufleux également. Encore une fois, une question d'équilibre, je ne vous vois pas plus rester tranquillement ici à faire l'intendance que partir en exploration avec les Bourlingueux."

Il prit plus de temps avant de continuer.

"Les Darkeux, je ne pense pas que ça convienne non plus, même si on en a appris un peu plus sur vos activités à Fossoyeuse avec Granolen, je ne pense pas que ça rendre dans cette catégorie."

"Il nous en reste donc trois, qui pourraient convenir. Les Crafteux, après tout vous êtes joallière et alchimiste. Les Ermizyeux, pour vos talents de voyance. Et les Zinzintelleux."

Orchal décida de s'interrompre. Il avait suivi les réactions de Drakana durant son monologue, il pensait ne pas être trop loin de la vérité, mais il voulait voir si elle allait réagir. Peut-être lui montrer ce que son instinct lui avait dicté d'écrire sur son petit carton.

Drakana adressa un grand sourire à Orchal.

Son ami le Druide avait parfaitement résumé la situation. Elle hocha la tête. Voilà qui l'éclairait mieux.

Les Pantoufleux ne lui correspondraient pas. Elle n'était pas portée sur les considérations pragmatiques que cela requérait.

Les Bracasseux, ça n'était pas son fort non plus, bien qu'elle sache se battre quand il le fallait - d’une manière assez originale et imprévisible, ce qui déstabilisait souvent l'adversaire et constituait l'une de ses forces. Elle-même ne pouvait pas anticiper ce qu'elle allait faire avec ses totems et autres ustensiles de guerre.

Les Crafteux: son carnet de commande était beaucoup trop sélectif, elle ne craftait qu'à la demande, c'était loin d'être une vocation, sa pratique n'était pas du tout fondée sur les valeurs qui animaient les Artisans de son entourage. Ceux-là élevaient leur pratique au rang d'art, et forgeaient des lettres de noblesse à ces honorables métiers. Comme son père l'Artisan Forgeron Pipiche des Pitons du Tonnerre. Une référence et un modèle pour bon nombre d'apprentis forgerons. Tout cela était trop pragmatique pour elle. Elle n'allait même pas cueillir elle-même ses plantes...

Les Bourlingueux? Pour peu qu'elle découvre un nouveau lieu intéressant, elle serait bien incapable d'en faire une carte ou de donner les instructions pour que le reste de la troupe la rejoigne. C'était une exploratrice "chaotique", qui voguait là où son instinct la portait. Lors de la découverte de nouveaux territoires par la Horde, elle avait ainsi atterri dans les endroits les plus improbables qui soient, avec son père, qui lui avait transmis son sens tout particulier de l'orientation. Rajoutons à cela qu'ils ne demandaient jamais leurs chemins, quitte à dormir à la belle étoile et à disparaître parfois de longs jours sans explication...

Les Darkeux. Elle savait danser avec les ombres, apaiser les fantômes, et la mort ne l'effrayait pas. Mais pour les adeptes des ténèbres et de l'ombre, elle était un suppositoire de l'Antre aux couleurs de l'arc-en-ciel. Il était presque certain qu'elle ferait fuir les autres membres de cette section, bien qu'elle ne comprenne pas pourquoi. Elle n'avait rien à faire dans cette section, RIEN DU TOUT.

Les Ermizyeux.... Voilà qui serait plus adapté. Seulement ses visions la frappaient soudainement, et elle ne considérait pas cela comme quelque chose à exploiter, ou à "officialiser". Elle avait fait partie des co-créateurs des Ermiteux, et c'était une co-fondatrice des Marmiteux. Elle avait toujours été au cœur des décisions concernant la guilde, par la force des choses, connaissant parfaitement l'essence de cette communauté, et le cap à maintenir pour que leurs valeurs perdurent. Elle était la Garde-flamme, et elle n'était pas seule. De nombreux Ermiteux participaient à cette lourde tâche, pour le bien-être de la communauté. Parfois, les esprits la guidaient, ou la contrariaient. De là à se considérer comme une espionne de l'ombre, ou une visionnaire... En dehors des moments où il fallait être là pour les autres, elle se préoccupait d’autres choses, très éloignées du rôle de visionnaire.

Drakana avait soif de découvertes. Sa curiosité insatiable l'avait mené sur bien des chemins, parfois très incongrus. Son intérêt pour les connaissances cachées, le monde des esprits, et les rouages invisibles qui régissaient le monde, la nature, les sociétés, l'avait conduite à faire bien des rencontres, et à lire bien des livres. Son bottin était long comme ses pavés. Elle avait passé un temps fou à la bibliothèque d'Hache-Tripes, parfois accompagnée par des philosopheurs, la plupart Réprouvés. Ils y avaient installé un boudoir, qu'elle appelait le "Symposium des Zinzins".

Elle avait plusieurs masques. Certains très secrets... Nul ne se doutait en effet - à part Orchal (et SURTOUT PAS sa marraine Drakawen) que suite à une rencontre avec des Taurens de Haut Rocs, elle était devenue "Fantaurène". Ils l'avaient initié à la Chasse. Pour la première fois, elle avait su ce que cela faisait de vivre entourée de Taurens, et de pratiquer une activité rituelle savamment codifiée. De la respecter, sans aucune fantaisie possible.

Voilà qui animait et inspirait ses balades secrètes dans la nature, quand l'actualité d'Azeroth lui permettait de s'esquiver plusieurs semaines. Les Ermiteux ne le savaient pas, mais ses nouveaux amis bestiaux étaient souvent partout autour d'eux. Des esprits uniquement. Jusqu’à présent, personne encore n’avait été capable de les voir. Et tant mieux, son gros nounours spectral et son loup étaient impressionnant. Tels des fantômes, ils la suivaient de loin à certaines occasions, quand elle ne pouvait pas partir avec eux à la chasse. En arrivant à Tombe-brume, elle leur avait indiqué l’endroit où se tenir, loin des écuries car les animaux vivants semblaient ressentir leur aura et cela les rendait nerveux.

La Chasse, c'était donc juste pour se détendre, et avoir l’impression de faire partie d’une communauté de Taurens, ce qu’elle n’avait jamais vécu jusqu’alors. Elle avait aussi été initié à l'Ombre, à Fossoyeuse (une longue histoire; personne ne savait qui était Ombremorue, et elle ne comptait pas en parler, non plus). Il s’agissait là encore d’une expérience – pour trouver le juste milieu, elle avait décidé d’arpenter autant les chemins de l’Ombre, que ceux de la Lumière.

Tel un caméléon, elle découvrait et expérimentait de nouvelles façons de se battre, d'appréhender le monde, continuellement. Et elle comptait bien encore apprendre beaucoup de choses ! Et lire tout plein de livres ! Et écrire encore plein de torchons pour arrondir sa bourse de piécettes, même si elle en avait très honte ! – Du moment que cela n’alourdissait pas sa facture temporelle à Revendreth pour son après-mort charnelle.

Après ces considérations, elle était sûre d'elle.

Aussi répondit-elle à Orchal, d'une voix ferme et assurée :

— Je souhaite intégrer la section des Zinzintelleux. C'est l'endroit où je me sens le plus à ma place. Je pourrai aider à enrichir notre bibliothèque sur des sujets variés, ce qui sera d'une grande aide pour prendre certaines décisions. J'aiderai à aménager les lieux, et à trier les ouvrages. Si quelqu'un a besoin de faire une recherche sur un sujet précis, je pourrai peut-être le guider vers les endroits, les personnes, où les livres où il trouvera des réponses.

La Chamane reprit le carton qu'elle avait emmené, et le déchira en confettis.

"Je vais le refaire en conséquence, et l'ajouter au registre que je vois là-bas près du comptoir. Merci mon ami, vous m'avez beaucoup aidé! Et vous avez raison, changer pour changer serait totalement stupide. Il s'agit plutôt de créer un tout équilibré, en élargissant les paramètres de prise en compte. Ce qui est périlleux, car cela ajoute de l'incertitude et de l'imprévisibilité, mais si les sept couleurs nous guident - j'ai envie de dire "nous soutienne" - alors le risque est modéré, et il y a une forte probabilité pour en ressortir plus fort que jamais."

Orchal la regardait, impassible. Elle continua.

« Vous savez, je ne crois pas en fin de compte qu’il y ait de bons ou de mauvais changements. Moi, si je devais résumer ma vie aujourd’hui avec les Ermiteux, je dirais que c’est d’abord des rencontres. Des gens qui m’ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j’étais seule dans ma caverne de Mulgore. Et c’est assez curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent une destinée... Parce que quand on a le goût de la chose, quand on a le goût de la chose bien faite, le beau geste, parfois on ne trouve pas l’interlocuteur en face je dirais, le miroir qui vous aide à avancer. Alors ça n’est pas mon cas, comme je disais là, puisque moi au contraire, j’ai pu ; et je dis merci à la vie, je lui dis merci, je chante la vie, je danse la vie... je ne suis qu’amour ! Et finalement, quand des gens me disent « Mais comment fais-tu pour avoir ces visions, qui ont pu guider la communauté Ermiteuse pendant 18 ans ? », je leur réponds très simplement que c’est ce goût de l’amour, ce goût donc qui m’a poussé aujourd’hui à entreprendre une construction mécanique basé sur l'équilibre entre l'ombre et la lumière... mais demain qui sait ? Peut-être simplement à me mettre au service de la communauté, à faire le don, le don de soi. Mais pas n'importe comment! Intégrer les sept couleurs à ma vision binaire de la vie, tel sera mon plus grand challenge! Bon, je vais remplir ce carton. »

Elle griffonna ensuite des mots sur le nouveau carton, se passant exceptionnellement de Fofore sa plume magique. Puis elle alla signer le registre, inscrivant son nom dans le tableau des sections près de la case "Zinzintelleux". Elle colla son petit carton en dessous du tableau.

Drakana constata qu’elle était la première à le faire. Aussi prit-elle un soin tout particulier à le remplir, pour donner l’exemple.

Satisfaite d'avoir accompli cette formalité, elle trinqua avec le Druide, qui sursauta.

La nuit tombait sur le fief de Tombe-Brumes. Il était temps de rejoindre les chambrées. La Chamane salua Orchal, s'inclinant bien bas, ce qui provoqua une longue mélopée sifflante du fait de son aérophagie. Le ciel était clair et dégagé. Au loin, un hululement lui répondit.

— Cher ami, je ne sais comment vous remercier de m'avoir autant aidé. Votre clairvoyance est précieuse. Si vous avez besoin d'aide pour remplir votre carton, et bien que cela ne soit pas là ma spécialité, vous savez où me trouver! Je tâcherai de vous rendre la pareille du mieux possible.

Sur ce, la Garde-flamme disparut dans les ombres du village calme, dont les lumières s'éteignaient progressivement une à une.